plus riches et des plus royales majestes qui eussent jamais existe. Seulement on se deman- dait quel pouvait etre mon empire. Le monde n'a jamais eu, que je sache, a se plaindre de la disette de monarques, et moins de nos jours que jamais. Ces bonnes gens, qui cependant n'en avaient encore vu aucun de leurs yeux, devinaient l'enigme avec autant de bonheur les uns que les autres. J'etais tantot un souverain du nord; tantot un potentat du midi. Et, en attendant, le comte Pierre restait toujours le comte Pierre.
Un jour il arriva aux bains un negociant qui avait fait banqueroute pour s'enrichir; il jouissait de la consideration generale, et refle- chissait devant lui une ombre passablement large, quoiqu'un peu pale: il venait dans ce lieu pour depenser, avec honneur, les biens qu'il avait amasses. Il lui prit envie de rivaliser avec moi et de chercher a m'eclipser; mais, grace a ma bourse, je menai d'une telle facon le pauvre diable, que pour sauver son credit et sa repu- tation, il lui fallut manquer de rechef, et re- passer les montagnes; ainsi j'en fus debarrasse. -- Oh, que de vauriens et de faineans j'ai fait dans ce pays!
plus riches et des plus royales majestés qui eussent jamais existé. Seulement on se deman- dait quel pouvait être mon empire. Le monde n’a jamais eu, que je sache, à se plaindre de la disette de monarques, et moins de nos jours que jamais. Ces bonnes gens, qui cependant n’en avaient encore vu aucun de leurs yeux, devinaient l’énigme avec autant de bonheur les uns que les autres. J’étais tantôt un souverain du nord; tantôt un potentat du midi. Et, en attendant, le comte Pierre restait toujours le comte Pierre.
Un jour il arriva aux bains un négociant qui avait fait banqueroute pour s’enrichir; il jouissait de la considération générale, et réflé- chissait devant lui une ombre passablement large, quoiqu’un peu pâle: il venait dans ce lieu pour dépenser, avec honneur, les biens qu’il avait amassés. Il lui prit envie de rivaliser avec moi et de chercher à m’éclipser; mais, grâce à ma bourse, je menai d’une telle façon le pauvre diable, que pour sauver son crédit et sa répu- tation, il lui fallut manquer de rechef, et re- passer les montagnes; ainsi j’en fus débarrassé. — Oh, que de vauriens et de fainéans j’ai fait dans ce pays!
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plus riches et des plus royales majestés qui
eussent jamais existé. Seulement on se deman-
dait quel pouvait être mon empire. Le monde
n’a jamais eu, que je sache, à se plaindre de
la disette de monarques, et moins de nos jours
que jamais. Ces bonnes gens, qui cependant
n’en avaient encore vu aucun de leurs yeux,
devinaient l’énigme avec autant de bonheur les uns
que les autres. J’étais tantôt un souverain du nord;
tantôt un potentat du midi. Et, en attendant, le
comte Pierre restait toujours le comte Pierre.
Un jour il arriva aux bains un négociant
qui avait fait banqueroute pour s’enrichir; il
jouissait de la considération générale, et réflé-
chissait devant lui une ombre passablement large,
quoiqu’un peu pâle: il venait dans ce lieu pour
dépenser, avec honneur, les biens qu’il avait
amassés. Il lui prit envie de rivaliser avec moi
et de chercher à m’éclipser; mais, grâce à ma
bourse, je menai d’une telle façon le pauvre
diable, que pour sauver son crédit et sa répu-
tation, il lui fallut manquer de rechef, et re-
passer les montagnes; ainsi j’en fus débarrassé.
— Oh, que de vauriens et de fainéans j’ai fait
dans ce pays!
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Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838, S. 43. In: Deutsches Textarchiv <https://www.deutschestextarchiv.de/19_ZZ_2786/63>, abgerufen am 17.06.2024.
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