delire. Je balbutiai qu'une ombre n'etait a la fin qu'une ombre; qu'on pouvait s'en passer, et que ce n'etait pas la peine de faire tant de bruit pour si peu de chose; mais je sentais par- faitement moi-meme le peu de fondement et le ridicule de ce que je disais, et je cessai de parler sans qu'il eaut daigne m'interrompre. "Oui, j'ai perdu mon ombre, ajoutai-je alors, mais je puis la retrouver."
Il m'interpela d'un ton menacant: "Dites- le-moi, Monsieur, comment avez-vous perdu votre ombre?" Il me fallut de nouveau men- tir. "Un jour, lui dis-je, un malotru marcha dessus si lourdement, qu'il y fit un grand trou; je l'ai donnee a raccommoder, car que ne fait- on pas pour de l'argent! on devait me la rap- porter hier.
-- "Fort bien, Monsieur, reprit l'inspecteur des forets, vous recherchez la main de ma fille, d'autres y aspirent comme vous: c'est a moi, en qualite de pere, a decider de son sort. Je vous donne trois jours pour chercher une ombre; si d'ici a trois jours vous vous presentez devant moi avec une ombre qui vous aille bien, vous serez le bien-venu; mais, je vous le decla-
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délire. Je balbutiai qu’une ombre n’était à la fin qu’une ombre; qu’on pouvait s’en passer, et que ce n’était pas la peine de faire tant de bruit pour si peu de chose; mais je sentais par- faitement moi-même le peu de fondement et le ridicule de ce que je disais, et je cessai de parler sans qu’il eût daigné m’interrompre. «Oui, j’ai perdu mon ombre, ajoutai-je alors, mais je puis la retrouver.»
Il m’interpela d’un ton menaçant: «Dites- le-moi, Monsieur, comment avez-vous perdu votre ombre?» Il me fallut de nouveau men- tir. «Un jour, lui dis-je, un malotru marcha dessus si lourdement, qu’il y fit un grand trou; je l’ai donnée à raccommoder, car que ne fait- on pas pour de l’argent! on devait me la rap- porter hier.
— «Fort bien, Monsieur, reprit l’inspecteur des forêts, vous recherchez la main de ma fille, d’autres y aspirent comme vous: c’est à moi, en qualité de père, à décider de son sort. Je vous donne trois jours pour chercher une ombre; si d’ici à trois jours vous vous présentez devant moi avec une ombre qui vous aille bien, vous serez le bien-venu; mais, je vous le décla-
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délire. Je balbutiai qu’une ombre n’était à la
fin qu’une ombre; qu’on pouvait s’en passer,
et que ce n’était pas la peine de faire tant de
bruit pour si peu de chose; mais je sentais par-
faitement moi-même le peu de fondement et le
ridicule de ce que je disais, et je cessai de
parler sans qu’il eût daigné m’interrompre. «Oui,
j’ai perdu mon ombre, ajoutai-je alors, mais
je puis la retrouver.»
Il m’interpela d’un ton menaçant: «Dites-
le-moi, Monsieur, comment avez-vous perdu
votre ombre?» Il me fallut de nouveau men-
tir. «Un jour, lui dis-je, un malotru marcha
dessus si lourdement, qu’il y fit un grand trou;
je l’ai donnée à raccommoder, car que ne fait-
on pas pour de l’argent! on devait me la rap-
porter hier.
— «Fort bien, Monsieur, reprit l’inspecteur
des forêts, vous recherchez la main de ma fille,
d’autres y aspirent comme vous: c’est à moi,
en qualité de père, à décider de son sort. Je
vous donne trois jours pour chercher une ombre;
si d’ici à trois jours vous vous présentez devant
moi avec une ombre qui vous aille bien, vous
serez le bien-venu; mais, je vous le décla-
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Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838, S. 57. In: Deutsches Textarchiv <https://www.deutschestextarchiv.de/19_ZZ_2786/77>, abgerufen am 17.06.2024.
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