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Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838.

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et comme frappe de la foudre. Il se passa
long-temps avant que je retrouvasse l'usage de
la parole. "Comment un valet peut-il, vis-a-
vis de son maeitre? ...." Il m'interrompit: "Un
valet peut etre fort honnete homme, et ne pas
vouloir servir un maeitre qui n'a pas d'ombre.
Donnez-moi mon conge." Il fallait changer de
ton. "Mais, Rascal, mon cher Rascal, qui t'a
pu donner cette malheureuse idee? Comment
peux-tu croire ....?" Il continua comme il avait
commence. "Il y a des gens qui pretendent
que vous n'avez point d'ombre, et, en un mot,
vous me montrerez votre ombre, ou vous me
donnerez mon conge."

Bendel pale et tremblant, mais avec une
presence d'esprit que je n'avais plus, me fit un
signe, et j'eus recours a la puissance de mon
or: il avait perdu sa vertu. Rascal jeta a mes
pieds celui que je lui offris. "Je n'accepte rien
d'un homme sans ombre." Il me tourna le dos,
enfonca son chapeau sur sa tete, et sortit len-
tement, en sifflant son air favori. Bendel et
moi, nous restames petrifies et le regardames
sortir, stupefaits et immobiles.

Enfin, la mort dans le coeur, je me pre-

et comme frappé de la foudre. Il se passa
long-temps avant que je retrouvasse l’usage de
la parole. «Comment un valet peut-il, vis-à-
vis de son maître? ....» Il m’interrompit: «Un
valet peut être fort honnête homme, et ne pas
vouloir servir un maître qui n’a pas d’ombre.
Donnez-moi mon congé.» Il fallait changer de
ton. «Mais, Rascal, mon cher Rascal, qui t’a
pu donner cette malheureuse idée? Comment
peux-tu croire ....?» Il continua comme il avait
commencé. «Il y a des gens qui prétendent
que vous n’avez point d’ombre, et, en un mot,
vous me montrerez votre ombre, ou vous me
donnerez mon congé.»

Bendel pâle et tremblant, mais avec une
présence d’esprit que je n’avais plus, me fit un
signe, et j’eus recours à la puissance de mon
or: il avait perdu sa vertu. Rascal jeta à mes
pieds celui que je lui offris. «Je n’accepte rien
d’un homme sans ombre.» Il me tourna le dos,
enfonça son chapeau sur sa tête, et sortit len-
tement, en sifflant son air favori. Bendel et
moi, nous restâmes pétrifiés et le regardâmes
sortir, stupéfaits et immobiles.

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[54/0074] et comme frappé de la foudre. Il se passa long-temps avant que je retrouvasse l’usage de la parole. «Comment un valet peut-il, vis-à- vis de son maître? ....» Il m’interrompit: «Un valet peut être fort honnête homme, et ne pas vouloir servir un maître qui n’a pas d’ombre. Donnez-moi mon congé.» Il fallait changer de ton. «Mais, Rascal, mon cher Rascal, qui t’a pu donner cette malheureuse idée? Comment peux-tu croire ....?» Il continua comme il avait commencé. «Il y a des gens qui prétendent que vous n’avez point d’ombre, et, en un mot, vous me montrerez votre ombre, ou vous me donnerez mon congé.» Bendel pâle et tremblant, mais avec une présence d’esprit que je n’avais plus, me fit un signe, et j’eus recours à la puissance de mon or: il avait perdu sa vertu. Rascal jeta à mes pieds celui que je lui offris. «Je n’accepte rien d’un homme sans ombre.» Il me tourna le dos, enfonça son chapeau sur sa tête, et sortit len- tement, en sifflant son air favori. Bendel et moi, nous restâmes pétrifiés et le regardâmes sortir, stupéfaits et immobiles. Enfin, la mort dans le coeur, je me pré-

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Zitationshilfe: Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838, S. 54. In: Deutsches Textarchiv <https://www.deutschestextarchiv.de/19_ZZ_2786/74>, abgerufen am 26.04.2024.